💭 [Interview] Le content marketing, ce hobby rémunérateur pour des gens qui se pensent écrivains
[Hors-série #07] Rencontre avec Cédric Quéniart, un vrai spécialiste du content marketing.
De temps en temps, en écumant cette jungle insipide qu'est LinkedIn, vous tombez sur des pointures, de vrais praticiens des mots (et pas des Raoult en toc) que vous êtes content·e d'ajouter à votre réseau parce qu'ils vont vous apprendre des trucs.
Eh bah, Cédric appartient pile à cette catégorie.
Cédric, c'est un mec qui est tombé dans les mots vers 9 ans, et qui griffonnait jusqu'à ses 30 piges des paroles de chansons (la légende dit que certaines ont même eu droit à leur musique).
En 2011, il crée son premier blog de chroniques musicales ; il vous dira modestement que "ça a bien marché", mais en vrai, ça a super bien marché, puisque des groupes se sont mis à lui expédier fissa des CD, et qu'il a même fait quelques chroniques radio.
La suite, je lui laisse la raconter, puisque je l'avais interviewé il y a 2 ans pour Sapajou.
Reportage.
[insert some TF1 jingle]
Donc, je résume, t'as toujours aimé écrire, et t'avais un blog de zikos qui marchait super bien en réalité. Tu écrivais quoi dessus exactement ?
Oui, j’écoutais beaucoup de musique, surtout de la musique « indé ». J’aimais bien partager mes trouvailles à mes potes en soirée. Au départ, le blog, c’était le prolongement de ces conversations.
Et puis, au bout de quelques semaines, j'ai commencé à regarder les stats de fréquentation, c'était en train de prendre de l'ampleur. J’avais plein de commentaires. Les groupes émergents, les chargés de relation presse m’envoyaient leurs nouveautés…
J’avais une communauté qui me suivait, des gens qui lisaient toutes les publications. Pour certains, c’était pour le côté « dénicheur ». Pour d’autres, c’était mon style qui les interpellait. J’avais pris le parti d’écrire mes chroniques de façon autobiographique, en reliant les nouveautés musicales à ce qui se passait dans ma vie. Donc, même de parfaits inconnus avaient l’impression de bien me connaître.
C'est comme ça que t'as switché vers ton taf actuel ?
Oui, en quelque sorte. J’avais une activité salariée dont j’ai fini par me faire licencier.
Ça a été le déclic pour me poser enfin les bonnes questions : qu’est-ce que je savais faire ? Qu’est-ce que j’aimais faire ? Et l’écriture a vite émergé.
J’avais aussi un diplôme en marketing, que je n’avais pas trop usé jusque-là. Et je ne voulais plus avoir de petit chef qui me prenne le chou au quotidien.
Tout ça mis bout à bout, j’ai décidé de me lancer comme rédacteur web en freelance.
T'as une anecdote pour tes débuts ?
La première fois que j’ai rencontré un prospect, je lui ai dit que je voulais travailler sur des formats de contenus différents. J’avais déjà une version « éditoriale » du contenu, avec des angles, des prises de position, un style, …
Et il m’a presque fait subir une thérapie de conversion au « contenu SEO » en mode « t’es bien mignon, mais nous, on écrit pour ranker sur les moteurs de recherche ». Au début, il me retoquait presque tous mes textes. J’ai joué le jeu quelques semaines et puis j’ai arrêté la collaboration.
Mes proches me disaient « t’es fou, c’était ton seul client ». J’ai répondu que j’en trouverais d’autres.
Ça t'a pas découragé ?
Non, je me suis accroché, j’étais en mode "je veux écrire et je veux en faire mon métier".
J’ai continué à prospecter. J’ai commencé à publier des articles sur mon blog professionnel à les diffuser sur les réseaux sociaux.
Le CEO de Plezi est tombé sur un de mes contenus, les points communs entre le content marketing et Zlatan. Il avait adoré le ton.
Ah, Plezi, carrément.
À l’époque, Plezi, c’était une jeune boîte mais ils misaient à fond sur le contenu. J’ai bossé avec eux de 2016 à 2019 sur la partie blog et sur des livres blancs.
Ca m’a bien aidé à progresser sur les sujets de marketing digital et à me faire une petite réputation auprès d’agences ou d’entreprises qui pratiquaient l’inbound marketing.
C’est en grande partie grâce à cette expérience que, maintenant, je choisis mes clients.
Oui, t'as clairement "un peu" de bouteille. Tiens, avec le recul, si tu devais me donner une définition du content marketing ?
C'est mener un lecteur d’un point A - à partir d'un questionnement, d'une problématique - à un point B - un soulagement, une acquisition de connaissance, une action... Et ce, en utilisant le pouvoir des mots pour éduquer, divertir, engager et donner le pouvoir d’agir à tes publics.
Et une définition en mode Cédric Quéniart, avec un peu de cynisme ?
La création de contenus, c’est un job rémunérateur pour des gens qui se rêvent écrivains mais n’ont pas les couilles de prendre le risque.
Ouch, c'est sévère.
On est nombreux à avoir un background ou des side-projects d’écriture créative.
On aspire à davantage de liberté et de créativité dans nos métiers. Mais, chez la plupart des clients, la créativité, ça fait peur. Tu as beau leur dire qu’on ne se différencie pas en faisant comme ses concurrents, ils sont très peu à vouloir assumer ce qu’ils perçoivent comme un risque pour la réputation de la boîte, leur avancement de carrière, …
Donc, on se bride un peu. Enfin, j’essaie de me brider le moins possible…
Comment on fait pour être "bon·ne" du coup ?
Les bons content marketers sont ceux qui comprennent les besoins des clients et savent les traduire en idées de contenus. C’est la base pour moi. Si tu n’en as rien à faire des humains auxquels tu t’adresses, change de métier. Idéalement, je commence mes missions d’accompagnement avec des interviews clients (les clients de mon client, je veux dire).
Pour faire de bons contenus, je pense qu’il faut les co-créer avec ton client. Intégrer les équipes métiers, les commerciaux dans la boucle. Il faut aussi remonter jusqu’au socle de marque pour partager la vision et adopter la bonne tonalité.
Le contenu, c’est un point de rencontre, de conversation, entre la marque et ses publics. Donc, notre but, c’est ça : générer des conversations.
Assez souvent, le problème qu’on rencontre, c’est que le client réclame du texte mais qu'en réalité, ce dont il a vraiment besoin, c’est d'une stratégie...
Et puis, même si on est bons, on se heurte assez vite à la réalité du terrain...
Oui, disons que le marché est parfois un peu confit dans ses habitudes. Certains sont figés sur les bonnes pratiques SEO d’il y a 10 ans, par exemple, et ont du mal à en démordre.
L’obsession de la lead gen est aussi un problème, aujourd’hui. On réduit le contenu à son côté utilitaire et on bride son potentiel.
Pour moi, le contenu est un actif immatériel de la marque. Il doit donc refléter l’identité de marque. Il ne s’agit pas seulement de répondre à des problématiques mais aussi d’offrir une proposition créative. Cette idée commence à faire son chemin, je ne suis pas le seul à la porter, mais le travail d’évangélisation est encore long.
Difficile de prétendre le contraire. Qu'est-ce que t'as envie de répondre à ces boîtes qui font du contenu en mode SEO vénère ?
Que le contenu, ça permet aux entreprises de démontrer leur expertise, de se raconter et de mettre en avant leur connaissance du marché, d'expliquer, éduquer, séduire, convaincre, engager... et, bon, faire vendre des trucs sans trop en avoir l’air.
Et puis, c’est un vrai asset parce que le contenu est pérenne et, quand c’est bien fait, ça a de la gueule, un beau contenu, non ?
Et là, Charles-Kevin te répondra : "oui mais c'est bon, on a un stagiaire pour la partie contenus, pourquoi je devrais faire appel à un pro ?"
La vérité, c’est que presque personne ne sait écrire correctement. Ce n’est pas quelque chose qu’on apprend vraiment dans les écoles. Parce que ce n’est pas qu’une question de techniques. Ca réclame une combinaison de « soft skills » que tout le monde ne possède pas : empathie, créativité, esprit de synthèse, compréhension de la data (de plus en plus), …
Les gens croient que c’est facile mais, en réalité, c’est un job très compliqué, surtout quand tu ne contentes pas d’essayer de charmer un algo.
Et si on lui apporte une réponse plus pragmatique ?
Faire appel à un pro est nécessaire parce que d'abord, ça prend du temps de faire les choses correctement. Ensuite, ça exige de se poser en amont les bonnes questions sur ses cibles : ce qu’ils attendent, leurs problématiques, pourquoi et comment on y répond.
Et puis, une stratégie de contenus demande de la régularité et, en interne, la plupart des entreprises ne sont pas assez organisées ou n’ont pas les ressources pour maintenir le rythme.
Tu penses que les entreprises sont larguées ?
C’est hyper flagrant. La plupart des boites n’ont pas de stratégie. Tu arrives, tu demandes s’il y a des personas, une charte éditoriale, si on a défini un « tone of voice », tu passes pour un extra-terrestre.
On veut faire du contenu parce qu’il faut faire du contenu. Ils ont lu ça quelque part. Au-delà de l’injonction, ça rame complétement. Ils ne savent pas par quel bout le prendre.
Elles ne doivent pas avoir masse de résultats, dommage.
Au départ, c’est pire que ça. Elles n’ont pas d’indicateurs de performance. Donc, parfois, elles publient des contenus mais ne savent pas si ça fonctionne.
De mon côté, j’ai beaucoup travaillé avec des clients qui font de l’inbound. Donc leur focus porte sur les KPIs de conversion.
Pour moi, ce qui compte, c’est l’impact plus que la visibilité. Donc, je vais regarder combien de conversations on a généré grâce à nos contenus et puis combien d’opportunités et de deals. Parce que des leads inbound, OK, mais si tu ne les convertis jamais, ça ne sert à rien.
Idéalement, il faut aussi considérer l’équilibre entre performance et brand. Une partie du contenu doit répondre à des objectifs de notoriété de la marque sur la durée. Ce sont donc une temporalité et des KPIs différents.
Est-ce qu'on peut dire que les entreprises voient le contenu comme la cinquième roue du carrosse ?
Disons qu’elles le voient comme un utilitaire et pas comme un véritable atout pour la marque. Elles ne tirent donc pas parti de tout son potentiel.
Et puis, souvent, elles ne voient que le « produit fini ». Beaucoup de personnes, y compris des marketeurs, n’ont pas conscience de tout le travail préliminaire que réclame la création de contenus de qualité. Une partie des prospects que je vois défiler ne viennent pas vraiment informés.
Ce serait quoi du coup, un "bon" contenu ?
Pour moi, un bon contenu, c’est comme une traversée. Tu embarques tes lecteurs. Si tu arrives à faire traverser un maximum de tes passagers du point A - la question - vers le point B - l’objectif du contenu, alors c’est un bon contenu.
Pour ça, il faut tenir son lecteur en haleine du début à la fin du contenu. C'est un équilibre entre le fond et la forme qui donne envie d’aller jusqu’au bout, et une traversée dont le lecteur sort enrichi, en termes de connaissance et/ou d’expérience.
Ça a toujours l'air assez simple en théorie, moins en pratique. Comment on fait pour maintenir le lecteur en haleine par exemple ?
Je pense que ça tient à plusieurs choses. Par exemple, tu peux te permettre quelques délits d’initiés afin de créer de la connivence avec le lecteur, ou des jeux de mots, etc. C’est pas parce que tu cherches à l’éduquer que ça t’interdit de faire un peu de récit, ou de storytelling. Quand c’est possible, moi, j’aime bien créer des personnages, pour le retail c’est plus simple notamment.
Pas bête, ça permet de générer de l'empathie.
Il faut se mettre dans les pas de la personne pour laquelle on écrit : si on ne comprend pas qui est le lecteur, on fait fausse route. D'ailleurs, c’est parfois cocasse car tu dois faire comprendre à ton client que tu n’écris pas pour lui, mais pour son client-cible.
D'autres erreurs à ne pas faire ?
Oublier qu’on écrit pour des humains et, donc, occulter toute la dimension émotionnelle au motif qu’on veut « faire expert ».
Ensuite, paraphraser d’autres contenus sans avoir cherché à creuser l’ADN et l’expertise de l’organisation pour laquelle on écrit. Et enfin, croire que le style ne compte pas.
Pour moi, un contenu doit porter une signature. Si on reconnaît ta marque en lisant le contenu « à l’aveugle », c’est plutôt bien embarqué.