🎌 Le marketing japonais ? Une leçon d'humilité
[Hors-Série #11] - Urgence, clickbait, matraquage… Le Japon a pris un autre chemin, entre patience et subtilité. Et si on arrêtait de courir ?
Tokyo.
Sous les néons palpitants de Shibuya, une marée humaine avance en silence, rythmée par le clignotement des feux piétons et les annonces feutrées du métro ; l’air est chargé d’une humidité qui colle à la peau, ça sent les effluves de bouillon dashi et de grillades yakitori qui s’échappent des petites échoppes au bord de la rue.
Au-dessus, un écran géant capte les regards : un personnage aux yeux démesurés s’agite pour vanter les mérites d’une boisson énergisante aux notes de matcha et de yuzu.
Plus loin, dans une ruelle étroite, une boutique minuscule diffuse sur une vieille télé une vidéo YouTube. Un influenceur y analyse la texture d’un dorayaki avant de prendre une gorgée de thé en silence.
À quelques mètres, une affiche minimaliste trône sur un mur épuré.
Trois idéogrammes tracés au pinceau, couleur douce, logo discret.
Un salaryman l’aperçoit du coin de l’œil en ajustant sa cravate, mais ne s’arrête pas.
Bienvenue au Japon, le pays où le marketing ne se vend pas façon bootcamp LinkedIn : il se ressent.
Ici, le content marketing n’est pas une course à l’attention, c’est un éloge de la patience.
Là où l’Occident bombarde ses consommateurs de messages instantanés pour acheter là-maintenant-tout-de-suite-sinon-t’auras-plus-jamais-cette-chance, le Japon distille, suggère, raconte.
On ne capte pas un client, on l’invite dans une histoire.
Une publicité n’est pas là pour vendre, elle est là pour instaurer une confiance qui prendra des années à se bâtir mais qui, une fois en place, sera inébranlable.
Pourquoi un KitKat au sakura fait-il vibrer tout un pays alors que d’autres produits échouent lamentablement à s’intégrer ? Comment Salesforce a conquis un marché réputé hermétique aux étrangers ? Pourquoi LINE est la pierre angulaire des stratégies digitales là où Facebook peine à exister ?
Derrière ces succès et ces échecs se cache une vérité simple : on ne fait pas du marketing au Japon comme ailleurs.
Ici, chaque image, chaque mot, chaque silence compte.
Dans ce hors-série, je vous invite à décortiquer ensemble cette approche unique, à explorer les subtilités culturelles qui transforment le marketing et le “contenu” en outil de fidélisation, et à comprendre comment les marques - japonaises ou étrangères - jouent à ce jeu de stratégie invisible.
Le Japon ne se conquiert pas. Il s’apprivoise.
Et son marketing aussi.
Lisez cette newsletter sur Substack, le dossier est hélas trop long pour votre petit boîte mail.
1. Les codes invisibles du marketing japonais
Avant de papoter véritablement “contenu à la sauce nippone”, il me semble important de préciser et de saisir les règles invisibles qui structurent le paysage marketing japonais.
Sans cette grille de lecture, impossible de comprendre pourquoi certaines stratégies occidentales s’y fracassent lamentablement tandis que d’autres marques parviennent à s’ancrer durablement dans l’imaginaire collectif.
Première règle : ne pas parler du fight cl… le Japon est un marché qui ne pardonne pas l’improvisation, surtout quand on sait que le consommateur japonais est ultra-exigeant.
Je vous l’ai dit en intro, loin des logiques de marketing direct et agressif souvent adoptées en Occident, le marketing japonais repose sur trois piliers fondamentaux : la discrétion, la durée et l’ultra-personnalisation.
L’omotenashi : le service avant tout
Au Japon, la relation entre une marque et son audience s’apparente à un engagement à long terme ancré dans le concept de l’omotenashi (おもてなし - ouais on va se la péter en écrivant aussi en japonais), aka l’hospitalité absolue.
En d’autres termes, la satisfaction client ne se limite pas au produit, mais englobe l’ensemble de l’expérience.
Un emballage légèrement écorné ? Bah il risque d’être laissé sur l’étagère. Une faute de frappe dans un texte promotionnel ? C’est clairement une négligence impardonnable.
Cette quête de perfection se retrouve dans tous les aspects du quotidien : de l’alignement des produits impec nec ultra sur les étagères d’un konbini à la présentation chirurgicale d’un plat dans un restaurant de quartier.
Le consommateur japonais valorise l’expérience bien plus que la simple transaction. On ne lui vend pas un produit, on lui offre un moment, un respect de son espace et de son temps (d’où l’importance du concept d’omotenashi).
Le marketing et ses “contenus” suivent la même logique : ils doivent être serviables, rassurants et sans agressivité, et c’est précisément pourquoi les marques japonaises privilégient des contenus éducatifs plutôt que de la campagne de brutasse linkedinesque.
Dans mes recherches, je suis tombé sur Muji qui est par ailleurs un excellent cas d’école ; pas de logo ostentatoire, pas de slogans débiles, mais des contenus centrés sur la simplicité et la qualité des matériaux. Chaque produit raconte une histoire minimaliste qui met en avant la valeur d’usage plutôt que la marque elle-même. Cette approche (quasi philosophique pourrait-on dire) résonne parfaitement avec le public japonais qui accorde une grande importance à la sincérité des entreprises (du moins à l’apparente sincérité, parce que bon, y’a de belles affaires quand même).
Autre exemple avec Shiseido, géant de la cosmétique, qui a le bon goût d’éviter de bombarder ses clients d’appels à l’achat, là où l’Occident a tendance à privilégier l’impact immédiat (publicité à effet de levier, promotions flash, tunnels de conversion optimisés et j’en passe des camemberts).
Au lieu de ça, la marque investit massivement dans des contenus éducatifs sur le soin de la peau, publie des guides détaillés ainsi que des études scientifiques sur les effets des produits. Oui, ils jouent à fond sur la crédibilité et l’expertise.
Et ce n’est pas uniquement le cas de Shiseido : en réalité, au Japon, la rigueur du message prime sur la spontanéité. Les mots sont pesés, chaque tournure est pensée pour ne heurter personne et pour être perçue comme polie et bienveillante.
Par conséquent, le marketing japonais est très peu conflictuel :
Pas de contenus polémiques ou clivants (sauf cas très rares et maîtrisés) ;
Une image de marque consensuelle et rassurante (ce qu’on pourrait juger comme négatif ici, d’ailleurs) ;
Un ton souvent modeste, jamais arrogant ou trop affirmatif.
Là-dessus, KitKat (qui est une marque occidentale, je précise au cas où) a su jouer sur cette approche en intégrant son produit aux traditions japonaises avec une finesse qui force le respect, je dois dire : plutôt que de simplement importer son chocolat tel quel, Nestlé a adapté KitKat aux goûts et aux rituels locaux, en créant notamment des éditions limitées inspirées de saveurs profondément ancrées dans la culture culinaire japonaise : Matcha, Sakura, Azuki, Wasabi ou encore Sake, parce que why not.
Heureux hasard : en japonais, “KitKat” se prononce (presque) comme Kitto Katsu (きっと勝つ, je vous avais dit qu’on allait se la péter) qui signifie “tu réussiras sûrement”, une coïncidence linguistique qui a permis à la marque de s’ancrer dans un rituel de superstition positif.
Résultat des courses, offrir un KitKat avant un examen ou un défi important est devenu une habitude au Japon, particulièrement auprès des étudiants et de leur famille. Nestlé en a profité pour renforcer cette association en lançant des campagnes où l’emballage du KitKat pouvait être personnalisé avec un message d’encouragement, ce qui transforme, dans les faits, un simple snack chocolaté lambda en porte-bonheur comestible. Malin.
Le Japon, un pays entre traditions et… traditions
Si vous pensiez que le Japon était un eldorado numérique ultra connecté et en avance sur tout le monde avec ses robots humanoïdes, vous vous fourrez le coude dans l’oeil.
Si le Japon a en effet longtemps été un pays high-tech, il est aujourd’hui en perte de vitesse, voire franchement à la traîne, tandis que le marketing digital y évolue selon des règles bien différentes de celles en vigueur par chez nous (surtout quand on se penche sur le design des sites nippons).
Ce qui marche chez nous ne fonctionne pas forcément là-bas. Et vice-versa, j’ai envie d’ajouter.
En fait, la digitalisation du marketing japonais a pris du retard par rapport à l’explosion du digital aux États-Unis et en Europe. Non pas parce qu’ils n’ont pas les outils ou les compétences, mais parce que le marché repose sur une dynamique relationnelle bien plus prudente et codifiée.
Premier choc culturel pour n’importe quelle marque occidentale qui débarque : Google n’est pas seul sur le podium.
Alors qu’en Europe et aux states, l’optimisation SEO est quasiment un passage obligé pour toute stratégie de content marketing, au Japon, Yahoo! Japan est toujours un acteur majeur du search (oui, Yahoo \o/).
Pourquoi diable ? Parce que Yahoo! Japan n’a jamais disparu (contrairement au reste du monde). Il reste extrêmement populaire auprès des générations plus âgées et continue d’être utilisé comme portail d’information avec ses services associés.
Par ailleurs, il est culturellement perçu comme une source plus fiable que Google. Son modèle est plus éditorialisé et filtré, ce qui rassure les consommateurs japonais, naturellement méfiants envers le contenu généré en mode automatique.
Enfin, parce que la publicité y est mieux acceptée. Contrairement aux Occidentaux qui ont tendance à zapper et bloquer la pub à tout-va, les Japonais sont plus enclins à considérer du contenu sponsorisé s’il est bien présenté et contextualisé.
Alors oui, Google est certes bel et bien massivement utilisé par les nippons, mais il est en compétition avec un écosystème digital hybride qui mêles moteurs de recherche, plateformes sociales et sites locaux très influents.
Les marques qui veulent cartonner au Japon ne peuvent donc pas uniquement se concentrer sur Google et doivent intégrer Yahoo! Japan à leur stratégie SEO et SEA. Et ça, c’est une belle dif’ par rapport à l’Occident.
2. Japon vs Occident : battle de philosophies marketing
On l’a évoqué, ce qui nous semble habituel, voire naturel dans nos charmantes contrées - une punchline bien sentie, une offre flash, un bootcamp vendu 777 € vite-y’a-plus-que-cinq-places - peut littéralement se faire carapater un consommateur japonais.
On a clairement deux visions du marketing qui s’affrontent : d’un côté, la course à l’attention, la conquête, les démonstrations de force, l’urgence permanente. De l’autre, la patience, la subtilité, la relation de confiance. Deux écoles de pensée on ne peut plus antinomiques.
Exit les messages trop agressifs, l’humour cynique, les publicités provocantes, les bons gros contenus clivants ou polémiques, ça ne passe pas.
Et ce ne sont pas les marques occidentales qui diront le contraire ; s’il y a bien une histoire emblématique de cet affrontement entre deux philosophies marketing, c’est celle d’Apple et de son iPhone. Car oui, même la marque la plus puissante du monde s’est prise un gros mur en arrivant au Japon.
Quand Apple se fait seppuku
À cette époque, quand Apple est arrivé avec ses gros sabots de ricains, les téléphones japonais (surnommés garakei) - étaient bien plus avancés technologiquement que les smartphones occidentaux.
Les téléphones japonais proposaient en effet des fonctionnalités déjà bien établies et qui faisaient cruellement défaut à l’iPhone de première génération.
Apple a également débarqué au Japon avec une approche occidentale du forfait mobile : des contrats avec des opérateurs qui imposaient des abonnements coûteux et des prix élevés pour l’appareil. Un désastre dans un pays où les opérateurs subventionnaient largement les téléphones.
Enfin, Apple pensait pouvoir imposer son produit conçu pour un public global tel un commodore Perry du XXIème siècle… sauf qu’au Japon, les préférences locales priment sur les tendances mondiales. Entre autres erreurs : une interface non adaptée aux usages japonais, une absence de compatibilité avec les services locaux, ou encore un manque d’options de personnalisation (pourtant essentielles pour le public nippon).
Bref, la firme de Steve s’est fait pisser dessus, a ravalé sa fierté, puis a pris le temps d’étudier le marché, de comprendre ses erreurs et de reconstruire sa com’. On ne pourra pas leur enlever ça.
Niveau marketing, ils sont passés d’une approche purement tech à une approche émotionnelle et culturelle :
Mise en avant de la qualité de fabrication : ils ont axé leur communication sur la précision, la minutie et l’attention aux détails, des valeurs fondamentales dans la culture japonaise.
Design & matériaux premium : le minimalisme épuré de l’iPhone a été repositionné comme un atout, en résonance avec l’esthétique japonaise du “shibui” (que l’on peut traduire par “subtilité”, sophistication sobre).
Des pubs avec des influenceurs japonais : ils ont intégré des figures locales dans leurs campagnes pour renforcer l’adoption par la population. Classique, mais ça marche toujours.
Et tout ça a payé : l’iPhone domine aujourd’hui largement le marché japonais, et représente près de 50 % des parts de marché des smartphones, loin devant Samsung et les marques locales comme Sony ou Sharp.
Quand les plateformes sociales occidentales ont parfois du mal à s’imposer
Les plateformes sociales sont incontournables en content marketing, mais là encore, le Japon suit ses propres règles.
Facebook en particulier, qui a longtemps dominé l’Occident, a toujours été perçu au Japon comme un outil corporatiste et rigide. Là où les Occidentaux adorent s’afficher en train de cuire des merguez cul nu dans leur jardin, les Japonais sont plus discrets sur leur vie privée et leurs opinions. La décharge de Zuckerberg est par conséquent principalement utilisé comme un outil professionnel, et rien d’autre.
Pour YouTube, les japonais n’y voient pas seulement une plateforme de divertissement oklm, ils l’utilisent comme un moteur de recherche ultra puissant : selon TAMLO, environ 30 % des Japonais utilisent YouTube quotidiennement, et les tutoriels, analyses, comparatifs produits et autres démonstrations cartonnent avant le passage à l’achat.
Du reste, pas de grandes divergences pour Instagram (le réseau est perçu comme une vitrine premium et les marques l’utilisent pour mettre en avant la qualité de leurs produits plutôt que pour pousser à l’achat direct), LinkedIn vivote comme il le peut (lequel est donc en concurrence avec Facebook et avec Wantedly, une plateforme locale) et X truste toujours le podium en dépit des frasques de Herr Musk.

Non, au pays du soleil levant, c’est LINE - une appli de messagerie instantanée - qui est le maître des réseaux sociaux - utilisé par 78 % de la population. Quand même. Vous allez voir que ça a son importance.
Ici, pas question de matraquer les utilisateurs avec de la pub non stop : chaque interaction est censée apporter une réelle valeur ajoutée, au bon moment, et de manière fluide.
Pourquoi ? Parce que LINE, c’est pas juste une app de messagerie, c’est un écosystème complet qui combine communication, paiement mobile, actualités, ecommerce et services clients.
Contrairement aux réseaux sociaux occidentaux où l’on scrolle d’ordinaire comme des grosses limaces passives en lâchant un like ou un com’ de temps en temps, les utilisateurs japonais interagissent avec LINE de manière proactive, notamment via des chats automatisés, des notifications ciblées et des offres sur-mesure.
Là-dessus, on va causer de McDo qui s’est très bien appropriée l’application.
Loin d’envoyer des promos à la chaîne, la marque s’est infiltrée dans le quotidien de ses consommateurs avec une approche stratégique et mesurée (et pas de RGPD non plus, ça peut aider).
Grâce aux données de LINE, l’enseigne analyse en effet les habitudes de consommation et personnalise ses offres en fonction des préférences des clients. Petits exemples :
Un utilisateur qui commande souvent des menus le matin recevra une promotion exclusive sur les Egg McMuffins.
Un amateur invétéré de burgers recevra une offre spéciale sur son produit favori.
Bref, les messages sont espacés, envoyés aux moments où l’utilisateur est le plus réceptif. Une offre promo avant l’heure du déjeuner, une suggestion de dessert en fin d’après-midi… McDo sait exactement quand activer ses clients.
LINE permet également à McDo d’intégrer des jeux, des quiz et des sondages directement dans ses conversations, du style : “Quel est votre burger préféré ?”, ou “Tentez de gagner un menu gratuit en jouant à notre roulette virtuelle !”. C’est pas ouf, mais ça fonctionne.
Enfin, plutôt que de renvoyer ses clients vers un site externe, McDo gère directement les demandes via LINE, qu’il s’agisse de checker des points de fidélité, de localiser les restos les plus proches ou d’assister les gens en cas de soucis sur leurs commandes.
Une approche à 180° du B2B
Bon, on papote, on papote, mais quid du B2B au Japon ? Est-ce qu’on peut spammer les salarymen en cold mail comme des gorets ?
Avant de répondre à cette question, on va causer de Salesforce.
Alors qu’ils auraient pu s’attaquer au marché japonais comme Apple et calquer les mêmes stratégies qui avaient fait leur succès aux states et en Europe (marketing de contenu intensif, campagnes de génération de leads automatisées, cold emailing, webinaires massifs), ils ont préféré prendre le temps d’analyser en profondeur les particularités du marché B2B japonais et ont complètement revu leur approche en conséquence.
Salesforce n’a pas cherché à vendre immédiatement. Ils ont d’abord cherché à convaincre.
Avec tout ce qu’on vient de dire, vous vous doutez bien qu’au Japon, l’adoption de nouvelles solutions se fait pas à la légère, et encore moins sur un coup de tête après avoir lu un DM Waalaxy sur LinkedIn.
Contrairement au charmant pays de Donald Trump où un logiciel pondu par une SaaS random peut séduire par ses fonctionnalités agiles disruptives révolutionnaires, les entreprises nippones privilégient avant tout la fiabilité et la réputation… Ce qui signifie que si un outil n’a pas fait ses preuves auprès des business locaux, il sera perçu comme un gros red flag. Et s’il y a bien une entité sur Terre qui a une aversion au risque, c’est bien les boîtes japonaises.
Bref, tl;dr tout ça, Salesforce ne pouvait pas simplement débarquer avec un PPT et des pitchs commerciaux prêts à l’emploi. Il fallait d’abord gagner la confiance des entreprises japonaises.
Ils ont donc mis en place une stratégie de légitimation progressive :
Adapter la stratégie au marché local : ils ont d’abord misé sur des partenariats stratégiques avec des acteurs japonais influents comme Toyota et Canon, et ce sont ces alliances (enfin, ce réseautage ++) qui leur ont permis de gagner en street cred et de mieux comprendre les subtilités du marché local.
Localisation du produit et du marketing : loin de se contenter d’une traduction de son interface, Salesforce a repensé son logiciel pour répondre aux besoins (très) spécifiques des entreprises japonaises. Ils ont également axé leur com’ sur l’accompagnement et l’expertise plutôt que sur la performance de leurs solutions.
Accompagner la transformation digitale japonaise : coup de bol, Salesforce s’est positionné comme un acteur clé au moment où le Japon commençait à accélérer sa digitalisation. Leur message portait donc aussi sur les bénéfices du cloud et des solutions SaaS, encore largement méconnus sur ce marché à l’époque.
Au bout du compte, Salesforce est devenu l’un des leaders du CRM au Japon avec une présence solidement ancrée et une expansion réussie dans d’autres marchés asiatiques suite à ce ballon d’essai.
Conclusion : non, vous ne pouvez pas cold call les salarymen, et le B2B ne fonctionne décidément pas pareil que chez nous.
En Occident, un contenu B2B que l’on jugera “efficace” sera celui qui génère des leads.
Au Japon, un contenu “efficace” sera celui qui prouve la fiabilité et la crédibilité d’une entreprise, même si ça ne génère aucun lead immédiat.
Cet article met bien en évidence les différences fondamentales qui existent, pêle-mêle :
Un processus décisionnel méthodique et basé sur le consensus, puisqu’avant même d’envisager une collaboration, il faut convaincre en interne. Un deal passe souvent par plusieurs étapes où différents niveaux hiérarchiques doivent donner leur accord avant même qu’une négociation ne commence officiellement.
Tout achat B2B nécessite une validation via un processus formalisé, où des documents appelés ringi-sho circulent à travers plusieurs niveaux de management avant d’être approuvés.
Un bon produit ou service ne suffit pas. L’entreprise veut être sûre que son fournisseur ou partenaire est digne de confiance, et c’est pourquoi les rencontres physiques / les relations personnelles comptent plus que n’importe quelle campagne marketing digitale.
Les pubs ou les téléchargements de livres blancs sont généralement inefficaces pour atteindre les décideurs des grandes entreprises japonaises pour les raisons que l’on vient d’évoquer.
Les efforts marketing doivent être respectueux, hautement personnalisés et démontrer une compréhension claire des besoins spécifiques du client.
Les équipes sales / marketing sont parfaitement alignées, avec un partage d'objectifs, d'informations et de stratégies, en combinant du contenu digital ciblé avec des efforts de communication personnalisés.
Sans vouloir être médisant, on ferait bien de s’inspirer de certains points.
3. Comment aborder l’exercice du “contenu” au Japon ?
Contrairement à nous autres consommateurs occidentaux (qui privilégient souvent l’impact visuel et les bénéfices immédiats), les Japonais ont un besoin viscéral de détails et d’informations techniques avant de prendre une décision d’achat.
Les gonzes veulent être littéralement noyés de doc pour avoir toutes les cartes en main. Niveau réassurance, ça se pose là.
Moralité : un “bon contenu” au Japon doit d’abord être précis, exhaustif et rassurant.
Pourquoi les Japonais veulent être gavés d’infos ?
Parce qu’on est dans une culture du détail et de la transparence. On l’a dit : chaque détail compte.
Dans le content marketing, ça signifie que les consommateurs attendent des descriptions produit ultra chiadées, des fiches techniques détaillées et des démonstrations claires que ce truc que vous essayez de vendre, c’est pas de la pacotille.
Alors qu’un site ecommerce occidental se contentera d’une description parfois sommaire (voire à l’arrache), de quelques photos et d’un bouton “Vite ajoute ça au panier sinon y’en aura plus”, au Japon, une fiche produit typique comprend :
Une explication détaillée de l’origine et du processus de fabrication.
Des témoignages clients et des avis bien fournis.
Une liste complète des spécifications techniques (même si elles ne sont pas forcément compréhensibles par l’acheteur).
Des visuels explicatifs sous plusieurs angles.
Cent balles et un Mars.
Les sites web japonais : là aussi, une surcharge volontaire d’informations
Si vous êtes déjà tombé sur un site japonais, vous avez sûrement remarqué qu’ils sont souvent très chargés par rapport aux standards occidentaux.
Une fois encore, et contrairement à la tendance occidentale du minimalisme et du design épuré, les Japonais préfèrent avoir un maximum d’informations visibles immédiatement.
Et pour mieux comprendre tout ça, je vais vous parler des “chirashi”, les ancêtres du marketing digital japonais.
Les chirashi, c’est des flyers publicitaires envoyés avec les journaux du matin. Ils sont remplis de texte, d’images et de prix dans tous les sens ; grosso modo, ils se sont pas emmerdés et les chirashi ont été digitalisés sous forme de sites web / applications.
Ce qui fait que, par la force des choses, les Japonais ont l’habitude de scanner énormément d’informations avant de faire un choix. Un site trop minimaliste, ça leur donne l’impression qu’il manque des éléments critiques à la bonne compréhension du bouzin (oui, c’est paradoxal quand on songe à la culture japonaise, mais bon).
Si on prend un exemple, Amazon Japon est relativement épuré, mais il est beaucoup moins populaire que Rakuten : là-bas, ils ont mis en place une approche visuelle surchargée avec des bannières clignotantes, des offres en cascade et des tonnes d’informations textuelles que ne renierait pas un CDiscount. Tout ça parce que les Japonais aiment avoir toutes les options devant eux pour comparer immédiatement.
Un ingrédient vital : le storytelling
Sans surprise avec tout ce qu’on a dit plus haut, au Japon, le storytelling est une norme, voire une nécessité, puisqu’ici plus que partout ailleurs, on n’achète pas un produit, on adhère à une vision.
Et l’explication est relativement simple : la culture japonaise accorde une importance capitale à la tradition, aux récits et à la transmission.
On parle quand même d’une culture qui comporte pléthore de contes folkloriques avec des kami ou des formes d'art comme le théâtre Nô et le Kabuki.
Bref, dans une société où le respect du passé et la recherche de l’harmonie guident les interactions sociales, le storytelling, c’est le ciment qui relie les marques à leur audience.
Exemple, et je reprends Shiseido, que l’on a rencontré précédemment : ils ont créé une pub, “High School Girl”, qui commence comme une simple vidéo mettant en scène des lycéennes avant de révéler, à la fin, un message plutôt subtil sur la beauté et l’identité :
Suntory, l'un des pionniers du whisky japonais, a l’habitude de collaborer avec des stars pour créer des publicités qui claquent : dès les années 1970, ils ont fait appel à des figures emblématiques du cinoche pour promouvoir leurs produits, comme Francis Ford Coppola (et plus tard sa fille), Sean Connery ou encore Neo Keanu Reeves. Cerise sur la fleur de cerisier, le film Lost in Translation a notamment immortalisé la phrase “For relaxing times, make it Suntory time”, depuis devenue culte.
En réalité, la culture japonaise est riche en symbolisme et en narration visuelle. Les publicités japonaises utilisent fréquemment des symboles pour véhiculer des messages sans dépendre uniquement des mots. Petit exemple pour illustrer ça : la fleur de cerisier (sakura), que vous connaissez sans doute tellement on la voit partout dès qu’on parle du Japon, est souvent utilisée pour symboliser les nouveaux départs ou la nature éphémère de la vie.
Truc que l’on ne connaît pas vraiment chez nous, s’ajoutent également les mascottes (ou “yuru-chara”), fréquemment utilisées dans les pubs nippones pour personnifier des produits ou des services. Ces mascottes sont généralement conçues pour être à la fois adorables et accessibles, ce qui les rend fatalement populaires auprès de toutes les tranches d'âge, et certaines d’entre elles, comme Kumamon et Funassyi, ont carrément atteint une renommée internationale.
4. L’influence au Japon, c’est… spécial
Impossible pour moi de clôturer ce (déjà très long) dossier sans vous parler (un peu, je vous promets) de l’influence.
En fait, on est en présence d’un paradoxe fascinant. D’un côté, on a un marché structuré où les marques misent sur des ambassadeurs sélectionnés super soigneusement, qu’ils soient influenceurs traditionnels, idoles ou VTubers (influenceurs virtuels - oui oui, je déconne pas). De l’autre, l’obsession du public pour ces figures publiques génère une culture parfois toxique, avec des attentes irréalistes et des conséquences économiques dramatiques en cas de boulette.
Contrairement à chez nous, la relation entre un influenceur et son audience est bien plus intense et codifiée qu’ailleurs. Les Japonais ne suivent pas simplement un créateur, ils développent une relation parasociale profonde avec lui.
Oui, ça fait peur ; sans compter que la société japonaise impose des normes strictes aux personnalités publiques, ce qui entraîne une pression sociale extrême et des conséquences disproportionnées en cas de drama.
Petit exemple pour la route : Hiyama Saya, la Miss Météo qui a fait trembler la bourse. Oui, vraiment. La valeur boursière de sa chaîne de TV s’est effondrée après la révélation de sa relation amoureuse, tout ça parce que ses hordes de fans masculins ne voulaient pas la voir en couple, ce qui a déclenché une vague de désabonnements massifs et un tollé sur les réseaux sociaux.
Au Japon, un influenceur ne se contente pas de promouvoir une marque, c’est un idéal projeté ; et s’il brise cette image parfaite, les dommages (collatéraux ou non) sont sacrément plus lourds qu’en Occident.
Je reviens un instant sur les VTubers, parce que c’est un truc qu’on ne connait clairement pas ici et qu’on pourrait trouver chelou.
Un VTuber, donc, est un influenceur qui utilise un avatar animé au lieu de montrer son visage réel. Il sont généralement doublés par une vraie personne, mais tout son univers est scénarisé et contrôlé par des agences (comme Hololive et Nijisanji pour ne citer que les plus importantes).
Et mine de rien, les atouts sont nombreux :
Exit certains des abus habituels du milieu de l’influence : harcèlement, atteinte à la vie privée, scandales perso… ;
Les agences évitent les dérapages spontanés et garantissent une image de marque cohérente ;
Les fans ne tombent pas amoureux d’une personne réelle, mais d’un personnage fictif (oui je sais, on en est là), avec du maxi fric à la clef entre les superchats, le merch ou les événements privés.
Dernière facette de l’influence japonaise, l’acceptation sociale de certains contenus qui, n’ayons pas peur des mots, sont un peu beaucoup malsains.
Certains influenceurs sont ainsi spécialisés dans la critique et la recommandation de bars à hôtesses, de clubs de luxe ou de services “““alternatifs””” (suivez mon regard), et le voyeurisme y est totalement assumé : on se retrouve avec des vidéos qui détaillent les “expériences” de ces établissements. Il faut savoir que ce type de contenu n’est pas réellement critiqué au Japon ; ubuesque quand on songe que cette absence de tabous contraste avec la sévérité du jugement d’autrui.
Mais bon, pas étonnant quand on sait que le “drama” est une industrie en soi - d’ailleurs, les influenceurs qui font face à un bad buzz doivent souvent présenter des excuses publiques très théâtralisées. Ça paraît super bidon ; pourtant, au Japon, c’est une véritable stratégie pour apaiser le public et regagner en crédibilité.
BREF, concluons.
Quelle approche est la meilleure ? La nôtre ou la japonaise ?
Réponse évidente : aucune.
Le marketing occidental matraque. Le marketing japonais muraille.
Là où l’Occident essaie (parfois désespérément) de hacker l’attention, le Japon préfère tisser la confiance avec la patience d’un orpailleur.
Ici, on optimise. Là-bas, on intègre.
Peut-être que la meilleure chose à faire, c’est de la jouer en hybride.
Prendre la vélocité occidentale et la combiner avec la patience japonaise ; jouer sur l’immédiateté quand il le faut, mais respecter le temps long quand il est essentiel.
Notre attention est une ressource épuisable, alors il serait p’têt temps de voir les choses en nuances.
🫠 Comment que vous avez trouvé ce hors-série ?
Vous pouvez m'aider à le savoir en likant l’édition (ou pas) ci-dessous, voire en laissant un commentaire salé comme la Mer Morte.
Si ça vous a botté, vous pouvez aider cette noble missive à se tailler une réputation par-delà les mers de Substack :
À la revoyure !
Passionnant !
J’ai préféré te lire plutôt que de scroller comme une limace sur mon tel... TU TE RENDS COMPTE ?
J’ai appris plein de trucs, et je me sens confortée dans mon approche de l’info en provenance des entreprises : elle doit être plus complète.
La stabilité apparente qui règne la-bas fait rêver. Beaucoup moins leurs délires relationnels bizarres.
Quand même, je trouve qu’on ferait de s’inspirer de qq trucs...
Arigato gozaimasu pour cette lecture et tout le boulot qu’il y a derrière 🙌👏
Bravo c'était passionnant !