💸 Neuromarketing : le sc🅰️m du siècle ?
[Hors-Série #10] - Le neuromarketing peut-il vraiment déchiffrer les moindres désirs des consommateurs ? Enquête en 5 actes.
An de grâce 2043. Alors que le monde crève dans les bouleversements climatiques successifs, deux costards-cravate papotent dans une salle de réunion du 17ème arrondissement de Paris :
— Tu te rends compte Gabin ? Avec notre nouvel outil, on a littéralement accès au cerveau des consommateurs. C’est ouf, fini les focus groups !
— Carrément. Maintenant, on sait exactement quoi activer dans leur cortex pour qu’ils achètent sans réfléchir. Ces gros pigeons croient encore que c’est leur choix… Ha ha ha !
— Franchement, entre l’IRM et nos algos, on vend plus des produits, on vend des décisions. Les actionnaires vont salement kiffer.
— Ouaip. Plus besoin de persuasion, on leur dicte ce qu’ils veulent. Et le pire… c’est qu’ils adorent ça.
— Ha ha, bienvenue dans le futur du marketing !
Ça fait peur, hein ?
Bah pas la peine d’attendre 2043, puisque c’est exactement la promesse que tiennent actuellement les agences de neuromarketing : déchiffrer les moindres désirs des consommateurs et prévoir leurs décisions d’achat avant même qu’ils n’en aient conscience.
Comment ? Ben grâce à la magie des techniques neuroscientifiques comme l’imagerie cérébrale, pardi.
Sur le papier, ça a l’air incroyable (surtout quand on n’a pas d’éthique).
Mais… si on actionne son cerveau deux secondes, justement, est-ce qu’on serait pas en train de tomber dans une arnaque bien ficelée par les agences, et enveloppée dans des termes scientifiques impressionnants mais creux comme la Terre ?
Oui, j’ose. J’aime jeter des pierres.
Personnellement, j’ai toujours eu un point de vue dubitatif sur le neuromarketing.
La faute, très certainement, à mon papa qui m’a toujours répété quand j’étais gamin qu’il fallait garder un esprit critique. C’est un bon conseil. Je le filerai à ma fille.
Du coup, quand mon feed LinkedIn s’est récemment peuplé de trucs sur le neuromarketing, avec des posts comme “Comment influencer les décisions d’achat grâce aux neurosciences !” ou “Découvrez le secret pour manipuler les émotions de vos clients !”, mon radar à bullshit s’est immédiatement activé.
Et pour en avoir le cœur net, j’ai farfouillé dans tout un tas de sources pour me faire un avis définitif sur la question, et vous aider peut-être à vous faire le vôtre.
Je vous propose donc aujourd’hui de démêler le vrai du faux, en explorant notamment les fondements scientifiques, les promesses (et leur véracité), ainsi que le problème posé par les agences de neuromarketing.
Entre la recherche documentaire et l’écriture, cette enquête m’a pris 3 bons jours. Donc si vous avez aimé, je suis pas contre un like, du com, voire du partage :
Cette enquête est assez longue et sera tronquée dans la newsletter. Lisez-là plutôt sur Substack.
1. Les premiers pas du neuromarketing
Plutôt que de vous emmerder avec un historique long comme le bras, je vais tâcher de rester concis.
D’où vient donc le neuromarketing ? D’un type, Gerald Zaltman, chercheur en marketing à Harvard, qui, en 1998, a déposé un brevet intitulé “Neuroimaging as a marketing tool”.
Titre prometteur, n’est-il point ? Lequel n’allait d’ailleurs pas manquer d’enflammer les imaginations. Ce brevet déboule avec une promesse simple :
Utiliser des technologies neuroscientifiques pour mieux comprendre et prédire les comportements d’achat.
N’ayons pas peur des mots : c’était carrément le Saint Graal pour tout marketeur.
La première expérimentation à avoir fait du boucan dans le domaine fut une étude menée en 2004 et qui opposait deux marques iconiques : Coca-Cola vs Pepsi, et je suppose que vous en avez probablement entendu parler.
Pour celles et ceux qui vivent dans une grotte, petit récap’ : l’expérience avait pour but d'explorer si la préférence des consommateurs pour l’une ou l’autre des marques pouvait être expliquée par des processus cérébraux. Ils ont donc pris des gens, lesquels goûtaient les deux sodas tantôt en aveugle, tantôt en sachant quelle marque ils s’enquillaient dans le gosier.
Lorsque les sujets ignoraient la marque, Pepsi avait souvent l’avantage. Mais lorsque le nom de Coca-Cola était révélé, leur préférence basculait vers Coca, peu importe le goût.
J’entends les neuromarketeurs hurler victoire, mais ‘tendez, y’a un hic.
Parce qu’en fait, les marketeurs savaient déjà depuis belle lurette que la marque influence fortement la perception. Ce que les neurosciences ont simplement fait, c’est mettre en lumière les régions cérébrales activées pendant cette prise de décision, mais rien qui bouleverse la compréhension fondamentale du marketing.
Soyons beaux joueurs, et creusons quand même les résultats.
Ces derniers ont révélé que deux systèmes distincts étaient impliqués : d’un côté, le putamen ventral, activé par la perception sensorielle (le goût), et de l’autre, le cortex préfrontal médian, qui se réveillait lorsqu'il s’agissait de juger une marque, ce qui influence la décision finale.
Alors certes, ce petit jargon neuroscientifique, c’est cool pour se la péter en soirée. Sauf qu’il cache encore une fois une vérité toute simple : la puissance d’une marque peut influencer votre préférence, même quand elle va à l’encontre de vos sens.
Coca-Cola n’a pas un meilleur goût que Pepsi, c’est la force de son branding qui fait tout le boulot. Cette étude a eu (hélas) un écho médiatique démesuré, mais n’a rien appris de nouveau à ceux qui travaillent dans le marketing depuis des plombes.
On touche là au cœur du problème : ces premières études en neuromarketing ont souvent été survendues.
L’IRMf, cette tech soi-disant harry-pottero-magique capable de voir à travers nos pensées et vantée par les moins scrupuleux·ses, n’a en réalité montré que des corrélations, et pas des causes.
Ces images colorées des cerveaux activés par un logo ou un soda n’étaient que des représentations de l’activité neuronale en réponse à un stimulus. Mais l’idée que l’on pourrait un jour manipuler cette activité pour contrôler les décisions d’achat reste trèèèès théorique.
L'imagerie cérébrale n’est pas une boule de cristal, et elle ne peut pas prédire avec certitude comment un individu va réagir face à une publicité ou un produit. Désolé.
“Le constat que des sommes considérables sont actuellement consacrées à des recherches en neuromarketing nous incite à analyser les objectifs et les conséquences de ce domaine qui tend à disqualifier les autres techniques (enquêtes, sondages, questionnaires, entretiens, focus group) pour imposer leur approche et surtout leur conception réductionniste du consommateur et, plus largement, de l’être humain.”
- Enjeux éthiques des neurosciences, l’exemple du neuromarketing, B. Chamak.
Bref, qu’est-ce qu’on a appris de cette première vague d’expérimentations ? Ben pas grand-chose de neuf, si ce n’est que la science a mis des images sur ce que les marketeurs savaient déjà intuitivement : le pouvoir d’une marque est immense (cela dit, c’est toujours cool de le valider scientifiquement).
Et pourtant, ces études ont permis au neuromarketing de prendre son envol vers les sommets du bullshit.
Des entreprises comme BrightHouse ou NeuroFocus ont commencé à surfer sur cette vague en vendant des services de neuromarketing aux grandes marques, et en leur promettant des insights inédits sur le cerveau de leurs consommateurs.
Mais la triste (ou heureuse) réalité, c’est que le neuromarketing n’a jamais prouvé qu’il pouvait générer de meilleurs résultats que les approches traditionnelles comme les enquêtes ou les tests consommateurs :
“Bien qu'il existe de nombreux travaux conceptuels et plusieurs revues bibliographiques sur le sujet, peu d'études ont produit des résultats empiriques rigoureux. Par conséquent, il y a un manque d'efficacité dans l'utilisation des techniques de mesure en neurosciences pour faire progresser la théorie du marketing et aborder les questions éthiques.”
- Accessing Neuromarketing Scientific Performance: Research Gaps and Emerging Topics
2. La neuro-imagerie, science ou gadget marketing ?
Aaah, l’IRMf… Rêve humide des marketeurs, et manne financière pour ceux qui vendent ces technos.
Le truc, c’est qu’en grattant un peu la surface, on découvre rapido que la réalité est beaucoup moins reluisante.
En deux mots, l’IRMf, c’est cette fameuse techno qui permet de visualiser des changements dans l’activité cérébrale en observant le flux sanguin. Mais le petit détail qui change tout, c’est que l’IRMf ne mesure pas directement l’activité neuronale. Elle observe seulement des corrélations entre des changements de flux sanguin et l’activation de certaines régions du cerveau.
Or, comme on l’a vu précédemment, corrélation, ce n’est pas causalité.
Ce qui complique encore plus la donne, c’est que les images produites par l’IRMf sont loin d’être des “photographies” de ce qui se passe dans le cerveau. Ce sont des reconstructions graphiques, basées sur des données interprétées par des algorithmes, et, soyons honnêtes, ces algos peuvent se tromper (déjà qu’un truc fifou comme ChatGPT hallucine, alors imaginez le reste).
L’un des exemples les plus ridicules en la matière est celui du saumon mort. Des chercheurs ont montré qu’en appliquant mal la méthodologie, on pouvait détecter une activité cérébrale… dans un saumon dead. Lulz.
Je vois déjà poindre cette question brûlante sur vos lèvres :
“Mais du coup, Alex, c’est débile, pourquoi est-ce qu’on continue à utiliser ces images comme preuve scientifique dans le marketing ?”
Ben pour deux raisons : d’abord parce qu’elles impressionnent. Une image colorée d’un cerveau, avec des zones rouges et vertes qui s’allument ici et là, ça en jette grave, surtout en visuel de post LinkedIn.
Ensuite, parce que ça justifie les honoraires exorbitants des agences de neuromarketing. Ben ouais, après tout, qui oserait remettre en question ce que dit une machine qui “voit” à l’intérieur de votre cerveau ? Sur ce point, on observera d’ailleurs que cette fascination pour les images IRMf est en grande partie due à leur pouvoir de persuasion visuelle, pas à leur capacité à réellement prédire ou influencer des comportements complexes.
Mais soyons encore plus précis. J’aime la rigueur prussienne.
L’IRMf, comme toute technologie, a ses limites techniques et méthodologiques. D’abord, l’IRMf mesure des changements de flux sanguin avec un décalage temporel : dit autrement, quand vous voyez une région du cerveau s’activer sur une image, ça reflète un changement qui s’est produit plusieurs secondes auparavant. Pour la prédiction en temps réel, on repassera.
Ensuite, il y a le problème des faux positifs, ces erreurs qui surviennent lorsque l’analyse des images produit des résultats erronés. Je vous ai parlé du saumon mort. Mais il y a d’autres exemples. D’autres études ont montré que des erreurs dans l’application de l’IRMf peuvent amener à conclure qu’une région du cerveau s’active en réponse à un stimulus… alors qu’en réalité, il ne se passe rien de significatif. Petit exemple pour illustrer le truc : c’est comme si un détecteur de fumée se mettait à hurler chaque fois que vous allumez une bougie. Oui, il y a de la chaleur, mais ça veut pas dire pour autant que votre baraque est en train de cramer.
Enfin, il y a le biais d’interprétation. Les scientifiques qui analysent ces images doivent souvent faire appel à des concepts issus de la psychologie cognitive pour comprendre ce qu’ils observent.
Sauuuf que… ces concepts sont eux-mêmes sujets à débat et incertitudes. Comme le souligne ce passage, réduire les comportements humains complexes à une simple activité neuronale peut être réducteur et ignorer d’autres facteurs contextuels et sociaux :
“Certains débats en psychologie tournent autour de l'idée que nos pensées et comportements sont le produit d'interactions complexes entre des facteurs biologiques, psychologiques et sociaux. La question est de savoir si nous pouvons vraiment isoler ces influences pour expliquer des comportements spécifiques, ou si les approches réductionnistes, comme celles qui se concentrent uniquement sur le cerveau, manquent une partie essentielle du tableau.”
Que dire du coup de leur application dans des domaines aussi complexes que le marketing ?
Quand on prétend déchiffrer les décisions d’achat avec un scanner cérébral, il est en réalité fastoche de tomber dans le piège de la surinterprétation ; et bien souvent, ces images ne nous apprennent pas grand-chose de plus que les trucs révélés par les bons vieux outils du marketing traditionnel.
3. Les 3 grands mythes du neuromarketing
Le neuromarketing n’est pas qu’une discipline : c’est peut-être aussi et surtout une machine à créer des mythes, des récits savamment orchestrés pour nous faire croire que cette fusion entre neurosciences et marketing va enfin révéler les secrets de nos cerveaux consuméristes.
Mais derrière ces promesses mirobolantes se cachent 3 grands mythes qui alimentent cette illusion de révolution scientifique :
Mythe n°1 : les nouvelles technologies magiques et omnipotentes
Ce mythe, c’est celui de nous faire croire que les technologies comme l’IRMf sont des outils quasi divins capables de percer à jour tous nos mystères cognitifs.
Quand vous lisez certains trucs, vous avez l’impression que l’IRMf est une sorte de baguette magique qui révélerait des vérités cachées sur nos désirs et nos comportements. Pourtant, comme on l’a déjà vu, l’IRMf n’est pas ce super détecteur de pensée que les agences de neuromarketing veulent nous refourguer.
Si on y croit encore et toujours, c’est que ça fait vendre, tout simplement. Pas besoin de chercher midi à seize heures trente. Le mythe de la techno omnipotente rassure les entreprises qui investissent dans ces services en pensant qu’elles accèdent à une sorte de boîte noire des comportements. Et pourtant, comme on l’a vu, la vérité est beaucoup plus terre-à-terre.
Mythe n°2 : la blouse blanche, ce symbole de vérité absolue
Oui, sérieusement. Dès qu’un mec enfile cette tenue, il devient tout à coup infaillible aux yeux du public (même principe que les pubs pour le dentifrice). C’est exactement ce qu’exploite le neuromarketing pour légitimer des pratiques marketing douteuses.
Derrière chaque promesse de compréhension ultime du comportement humain, il y a souvent un neuroscientifique en blouse blanche qui fait office de caution scientifique. Donc, petit rappel : les neuroscientifiques ne sont pas des marketeurs (merci de laisser peinards les chercheurs sérieux en neurosciences), et le fait d’utiliser des machines qui coûtent une blinde ne rend pas un résultat marketing plus valide.
Ce mythe de la blouse blanche abondamment utilisé par les agences et certains experts renforce la crédibilité superficielle du neuromarketing, mais au risque de jouer le cacatoès, ça ne change en rien le fait que les résultats obtenus avec ces technos ne sont pas plus fiables que les bonnes vieilles méthodos marketing.
“L’effet blouse blanche joue ici un rôle fondamental. Le simple fait d’associer des images d’IRMf ou des termes scientifiques complexes donne une apparence de rigueur et d’objectivité aux discours des agences de neuromarketing. Les consommateurs et les entreprises, peu familiarisés avec ces concepts, sont souvent impressionnés par cette mise en scène pseudo-scientifique, ce qui renforce la crédibilité de ces approches, même en l’absence de preuves tangibles de leur efficacité réelle.”
Mythe n°3 : le cerveau, cet organe mystérieux
Le cerveau, cet organe complexe largement méconnu et qui, grâce au neuromarketing, serait enfin sur le point de révéler ses vérités les plus secrètes.
L’ami Gerald Zaltman a même avancé que 95 % de nos décisions seraient prises de manière inconsciente.
C’est ultra cool, mais personne n’a vraiment pu prouver scientifiquement ce chiffre.
Oui, les processus cognitifs impliqués dans la prise de décision semblent extrêmement complexes et influencés par de nombreux facteurs - la culture, l'expérience personnelle ou encore le contexte immédiat ; oui, la perception inconsciente est généralement admise, mais il n’y a pas de preuve empirique que la majorité des décisions sont prises de manière inconsciente ; à l’inverse, certains - comme l'Université de Nouvelle-Galles du Sud - expliquent que notre cerveau fonctionne comme un système unique sous notre contrôle.
Par ailleurs, si vous vous êtes déjà intéressé au neuromarketing, vous avez probablement entendu parler du fameux cerveau reptilien.
Selon certains experts en (neuro)marketing, ce serait la partie la plus primitive de notre cerveau, responsable de nos instincts de survie, et donc la clef pour comprendre et manipuler nos comportements d’achat. Ils affirment que, pour influencer un consommateur, il faut s’adresser directement à cette zone archaïque du cerveau, là où siègent nos décisions les plus primaires et automatiques.
Ça a l’air fantastique dit comme ça, sauf que ce concept de “cerveau reptilien”, popularisé par le neurobiologiste Paul MacLean dans les années 1960, repose sur une théorie aujourd’hui largement dépassée. Mieux encore : le cerveau reptilien n’existe tout simplement pas.
Le fantasme du neuromarketing commence à bien partir en confettis.
4. Pourquoi le neuromarketing ne fonctionne pas
Bon, après des années d’expérimentations et des millions de pétrodollars investis, une question essentielle persiste : où sont les résultats ?
Je veux dire, on a sur LinkedIn des “experts” en neuromarketing qui expliquent sans sourciller que l’on peut manipuler à sa guise Gisèle, 58 ans, mais où sont les preuves ?
Reprenons le fil.
L’une des plus grandes promesses du neuromarketing était sa capacité à prédire avec une précision chirurgicale les comportements d’achat, genre “finito les approximations des sondages ou les biais des focus groups, avec l’IRMf, le cerveau va lui-même tout vous révéler mes petits amis”.
La réalité est sacrément moins impressionnante.
On l’a vu, les études menées avec ces outils se heurtent constamment à des problèmes de validité et de fiabilité. Les zones cérébrales qui s’activent en réponse à des stimuli publicitaires ne sont pas des déclencheurs automatiques de comportement d’achat, mais seulement des corrélations observées ; les images ne nous disent pas si l’individu va effectivement acheter le produit, elles disent juste qu’il a réagi à quelque chose.
Ce manque de fiabilité scientifique est par ailleurs accentué par une autre faiblesse majeure du neuromarketing : l’opacité des méthodologies utilisées. Les techniques sont souvent peu standardisées et rendent les résultats difficiles à reproduire ou à interpréter de manière cohérente :
“Les versions modifiées - et souvent propriétaires - des nouvelles méthodologies neurologiques reflètent un manque de transparence sur ce qui est mesuré et comment. Ce manque de normalisation et de transparence dans les pratiques de neuromarketing rend difficile la fiabilité de la prévision de l'efficacité d’une publicité.”
- How Reliable Are Neuromarketers' Measures of Advertising Effectiveness?
J’ai précédemment évoqué BrightHouse, la boîte pionnière dans l’utilisation de la neuro-imagerie pour des publicités. Ils ont travaillé pour des marques majeures en promettant des résultats mirobolants.
Qu’est-ce que ça a donné ?
Les ventes ne se sont pas envolées, et les campagnes basées sur des insights neuromarketing se sont avérées, dans le meilleur des cas, ordinaires. Bref, aucune révolution, juste un effet placebo coûteux pour les marques désireuses d’être à la pointe de la technologie, comme suggéré dans ce papier :
“Bien que certains aient soutenu l'existence d'un 'bouton d'achat' dans le cerveau, les preuves actuelles suggèrent que les processus cognitifs associés aux décisions d'achat sont multifactoriels et ne peuvent pas être réduits à une seule zone d'activation. [...] La capacité à déterminer si une personne aime quelque chose en se basant uniquement sur l'activité cérébrale est limitée dans des contextes réels.”
- Neuromarketing: the hope and hype of neuroimaging in business, Dan Ariely and Gregory S. Berns
Autre exemple, NeuroFocus (racheté plus tard par Nielsen), qui promettait de découvrir ce que voulaient réellement les consommateurs en scannant leurs cerveaux.
Mais plusieurs campagnes qui devaient “révolutionner” le marché se sont soldées par des flops sonnants et trébuchants. L’une des raisons principales ? Le manque de liens concrets entre les données cérébrales et le comportement réel. Des pubs soi-disant optimisées par les neurosciences se sont révélées tout aussi inefficaces que celles développées avec des méthodes plus traditionnelles. On l’a déjà dit : il ne suffit pas qu’une région du cerveau s’allume pour que l’on achète quelque chose !
Il me faut toutefois reconnaître, par honnêteté intellectuelle, que tous les papiers de recherche ne mettent pas en évidence les limites du neuromarketing. Celui-ci, par exemple, présente les outils actuels utilisés dans la recherche empirique en neuromarketing ; malgré la mise en avance d’outils moins conventionnels, on retombe néanmoins sur nos précédents travers avec un gros focus sur l’IRMf ; par ailleurs, ce papier avoue aussi clairement que la plupart des recherches visent davantage à comprendre les réactions émotionnelles et cognitives plutôt qu'à démontrer une amélioration concrète des performances marketing, soit ce sur quoi misent les agences pour refourguer leurs solutions (quel hasard).
Alors, pourquoi le neuromarketing échoue-t-il à produire les résultats promis ? Je l’ai déjà évoqué : principalement parce que les décisions d’achat sont bien plus complexes qu’une simple réponse neuronale à un stimulus publicitaire.
Elles impliquent des émotions, des contextes sociaux, des expériences personnelles, et une multitude de facteurs qui échappent à l’imagerie cérébrale. Le comportement du consommateur ne se réduit pas à une zone activée dans le cerveau ; c’est un processus holistique où la psychologie, la culture et l’économie jouent un rôle fondamental.
Pourtant, malgré ces complexités, le neuromarketing continue d’être vendu comme une solution miracle, et l'exagération de son potentiel ont d'ailleurs conduit à une série de critiques et de controverses :
“Le battage médiatique autour du neuromarketing et l'exagération de son potentiel […] ont suscité un certain nombre de préoccupations d'ordre éthique. Les promesses trompeuses faites par les agences et les entités commerciales sont la principale source de ces malentendus.”
- Mouammine, Y., & Azdimousa, H. (2023). An overview of ethical issues in neuromarketing
5. Le réel problème du neuromarketing
Depuis le début, je parle essentiellement des agences de neuromarketing.
Parce que, oui, en réalité, ce sont elles le problème.
On l’a constaté, elles ont souvent embelli les capacités réelles des neurosciences appliquées au marketing, et ce glissement progressif du domaine scientifique vers un discours commercial a non seulement compromis l'intégrité de la recherche en neurosciences, mais aussi induit les entreprises et le public en erreur quant à ce qu’il est réellement possible de faire avec ces technologies.
Les agences de neuromarketing ont simplifié à l’extrême des concepts complexes, en prétendant par exemple qu'il serait possible de lire directement dans les pensées des consommateurs ou de manipuler leurs comportements à volonté.
Or, ces affirmations ne reposent sur aucune base scientifique solide.
Comme le souligne une fois encore “A systematic review on EEG-based neuromarketing: recent trends and analyzing techniques”, le neuromarketing a progressivement évolué en passant de la prédiction des préférences des consommateurs à l’élaboration de stratégies marketing.
Pire encore : ces agences posent un véritable problème éthique.
Car, quand on écoute leur discours commercial - et même si les résultats obtenus demeurent incertains - la question de la manipulation du consommateur arrive forcément sur la table à un moment donné ; parce qu’après tout, si l’objectif est d’accéder directement au cerveau pour influencer les décisions d’achat, on a quand même sur le papier une promesse de vente de la part des agences qui consiste à flinguer le libre-arbitre.
Bref, ne mâchons pas nos mots : ce glissement vers la vente a décrédibilisé la recherche scientifique en elle-même.
En cherchant à vendre les neurosciences comme une solution miracle pour résoudre tous les problèmes de marketing, les agences ont nourri une rhétorique de la promesse qui a conduit à une surenchère des attentes, et pour certains chercheurs, le neuromarketing est devenu un terme galvaudé, synonyme de pseudoscience, voire de charlatanisme :
“Par ailleurs, parmi les scientifiques et les journalistes, il existe une vision ambiguë du neuromarketing. À côté d'un groupe de partisans, qui estiment que le neuromarketing conduirait à l'amélioration des produits et serait donc bénéfique pour les consommateurs, il y a de nombreux critiques. Par exemple, un éditorial de Nature Neuroscience a déclaré : ‘Le neuromarketing n'est guère plus qu'une nouvelle mode exploitée par des scientifiques et des consultants en marketing pour éblouir les clients d'entreprise avec de la science’.”
Conséquence logique de cette situation, on assiste a une véritable fracture entre les chercheurs en neurosciences et les “experts” du neuromarketing.
D’un côté, on a des scientifiques qui continuent d’explorer les mécanismes cérébraux de manière rigoureuse, avec des résultats nuancés et questionnés.
De l’autre, des agences de neuromarketing qui s’approprient ces découvertes pour les vendre comme des certitudes. La quête d’une compréhension fine et honnête des processus mentaux a été éclipsée par le besoin de résultats rapides et séduisants pour chalander du clients.
Allez, filons vers la (courte) conclusion de tout ça :
Il semblerait que, pour les agences, le neuromarketing fonctionne très bien pour une chose : vendre leurs propres services.
Mais quand il s’agit de vendre des produits aux consommateurs, c’est une autre paire de manchettes.
Je vous laisse avec une citation de Sébastien Lemerle, que l’on a rencontré précédemment dans le passage consacré au cerveau reptilien :
“Toute la question est de savoir si l’on peut résumer des phénomènes macro-sociaux à simplement une question de bonnes connexions dans le cerveau.”
Curieux de savoir ce que vous en pensez en commentaire.
PS : malgré toute la rigueur avec laquelle j’ai traité ce sujet, il est possible que des erreurs se soient glissées dans le papier vu comment les infos étaient denses. N’hésitez pas à me les signaler, je ferai une màj - avec pourquoi pas une ou des réponses d’éventuels contradicteurs, ce serait même chouette d’avoir des divergences - comme ça, chacun se fait son opinion.
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À la revoyure !
Trois jours pour cette synthèse, franchement bravo. Maintenant je me demande quelle part tu as faite au discours inverse ? Je ne t'accuse pas d'avoir cherché uniquement des preuves à charge, c'est une vraie question.
Perso, les neurosciences m'ont éblouies quand je les ai découvertes, je me suis abonnée à des mags et tout... jusqu'à me rendre compte que les conclusions ne POUVAIENT pas être révolutionnaire justement à cause de la méthodo que tu as décrite, de tous les biais. C'est une cartographie qui fait des liens de corrélation. Ça fait avancer la compréhension du câblage du cerveau mais il n'est pas opérante franchies les portes du labo.
Ce qui me fait marrer, c'est l'effet arroseur arrosé ce tous ces gens qui veulent manipuler les clients et qui se font, eux, manipuler. Ils vont très bien avec les agences de neuromarketing. on devrait les parachuter tous ensemble sur une île et mettre des caméra, on rigolerait.
Merci pour cette édition de fou !
Les positions SEO ne m'intéressent pas. Sauf si tu l'abordes du point de vue de la preuve sociale que ça représente, que cela soit pour les marques, mais aussi pour les experts entre eux (parce que ça continue de se la comparer avec ça). Après, je suis biaisée, je baigne encore trop dedans pour y être intéressée.
J'ai vu passer ton (excellent) carrousel au sujet du neuromarketing, je sais que j'ai liké (normalement) et que j'avais commencé à composer un commentaire, mais j'ai été interrompue et après, j'ai pas eu le temps / j'ai zappé tout à la fois.
L'expression même du "neuromarketing" est du storytelling. Et je pense que ça répond à un besoin né de la défiance croissante envers le marketing (qui était déjà plus ou moins une science quand il a commencé à vraiment être théorisé, finalement). Un peu comme s'il y avait un "crédit scientifique et adhésion" du public, et que ce dernier, épuisé, avait dû être renouvelé par un nouveau concept.
Du coup... Qu'est-ce qu'on inventera ensuite ? Est-ce que les "sciences narratives" (parce que je te GARANTIS qu'on parlera bientôt de "sciences") ne vont pas être la nouvelle marotte ?