🔫 La nouvelle guerre (im-pitoyable) de l'information
#19 - Et on cause aussi ado disparue, newsletter LinkedIn, spot de pub d'OpenAI ou encore outil SEO.
Ça serait quand même super cool un monde où l’information qui nous casse les testicouilles disparaît comme par magie.
Un rapport qui prouve que le climat part en vrille ? Oups, déso, il existe plus.
Des données sur la corruption d’un gouvernement ? Obazut, erreur 404.
Un algo qui favorise les tweets du CEO ? Un pur hasard qu’on vous dit.
Eh bien, ce monde, c’est celui qu’Elon Musk et Donald Trump sont en train de fabriquer.
Loin de se contenter de tweeter des memes douteux ou de lancer des shitcoins, ils ont une vision plus ambitieuse : reprendre le contrôle de l’information en effaçant ce qui les dérange et en b(i)aisant les plateformes de diffusion.
Dans une démocratie normale, on débat, on argumente, on contredit avec des faits. Mais dans la Musk-Trumposphère, cet équilibre est remplacé par un monopole de l’information.
On ne cherche plus à convaincre : on cherche à dominer.
Plutôt que d’argumenter avec des faits, on préfère supprimer ces faits et les remplacer par des "vérités alternatives". C’est le rêve ultime du pouvoir autoritaire : contrôler le réel en décidant ce qui existe et ce qui n’existe pas. C’est, ni plus ni moins, du révisionnisme en temps réel, un retour à la bonne vieille “double pensée” orwellienne : ce qui est vrai aujourd’hui ne l’est plus demain, sauf si le Parti décide que c’est à nouveau vrai.
Ce qui compte, d’ailleurs, ce n’est plus ce qui est vrai, mais ce qui est crédible aux yeux du public. Je ne pense pas que Camille me contredira, cf son dernier billet.
Ainsi donc, Elon Musk, ce génie du storytelling, a bloqué et détruit les informations climatiques détenues par la NOAA, l’agence météorologique US. Pourquoi ? Parce que si on supprime les preuves du réchauffement, c’est comme s’il n’existait plus, CQFD. Que dire également de la “disparition” de plus de 8000 pages des sites fédéraux en lien avec la santé sexuelle et les questions de genre ?
Autre coup de poignard : l’USAID enquêtait sur l’utilisation de Starlink en Ukraine. Devinez quoi ? Musk a coupé l’accès au réseau dans certaines zones, expliquant qu’il voulait rester “neutre”. Traduction : neutre tant que ça ne dérange pas son biz.
Dans la même veine, CBS a eu le malheur d’interviewer Kamala Harris. Résultat, Trump porte plainte en expliquant que cela a nui aux revenus de Truth Social ; parce qu’évidemment, la liberté d’expression c’est ultra important… sauf quand ça fait baisser tes ventes en tant que maga leader éclairé du monde libre.
Enfin, les employés du DOGE (Department of Government Efficiency) n’ont plus le droit d’utiliser Slack. Pourquoi ? Parce que cet outil conserve des archives et peut être soumis au Freedom of Information Act, cette épouvantable loi qui permet aux citoyens de savoir ce que fout leur gouvernement. Pas de Slack, pas de preuves. Easy.
Contrôler la production de l’information, c’est une chose.
Contrôler sa diffusion, c’est là que réside le véritable pouvoir.
Un mensonge répété mille fois devient une vérité – sauf qu’aujourd’hui, ce n’est plus mille fois, c’est un milliard de fois, boosté par des algorithmes soigneusement calibrés.
Dans cet univers, les médias indépendants sont une nuisance, les journalistes critiques un “problème à régler” et les réseaux sociaux un outil parfait pour façonner la perception collective. On l’a vu dans la précédente édition : Musk l’a bien compris avec X, qu’il transforme en mégaphone algorithmique pour amplifier ses alliés et réduire au silence ses opposants.
Bienvenue dans l’ère où l’on ne vend plus un récit, mais une réalité.
Les légendes urbaines sur Internet, c’est aussi vieux que Mathusalem.
Mais quand on tombe sur l’histoire (a priori vraie) d’une ado australienne de 13 ans qui a généré plus d’un million de dollars en 2022 grâce à LinkedIn (oui, pas TikTok, LinkedIn), qu’elle a monté une agence d’influence, vendu des formations, conseillé des CEO… et qu’elle a ensuite disparu corps et bien du web, on peut éventuellement se poser des questions.
Effacée. Supprimée. Comme si elle avait jamais existé.
Si j’avoue que j’ai bien rigolé au début (une énième ado qui turbine au SMIC LinkedIn, quoi), les quelques éléments sur lesquels je suis tombé ont quand même sacrément éveillé ma curiosité.
J’ai déjà commencé l’écriture d’un premier épisode d’un futur podcast documentaire, Le Mystère Lauren Hurst, mais avant d’aller plus loin et de m’embarquer dans un truc potentiellement très long (et pas ro-iste pour un sou), je voulais crash-tester un teaser et voir si la sauce pouvait prendre avec vous.
Dites-moi si ce projet vous chauffe, si vous voulez que je continue, et surtout… si vous avez déjà entendu parler d’elle :
Dans un article, Andy Crestodina analyse l’opportunité de lancer une newsletter sur LinkedIn et décortique les optimisations à mettre en œuvre pour ne pas se planter.
S’il reconnaît que la plateforme essaie par tous les moyens de garder l’attention des utilisateurs, il explique malgré tout que l’on a intérêt à jouer son jeu en publiant chez elle.
Et le bougre ne manque pas d’arguments : s’abonner à une newsletter LinkedIn se fait en un clic (réduction de la friction), LinkedIn invite les abonné·es à s’y inscrire (promo en automatique), la croissance est bien plus rapide que par une solution tierce, etc.
Alors ok, c’est pas faux. Mais ça me pose personnellement quelques problèmes :
L’argument du “rented land” (ne pas construire sur un terrain loué) est souvent invoqué contre la dépendance aux plateformes tierces. Ici, Crestodina le retourne en suggérant qu’un bon locataire peut très bien prospérer. Le problème ? Quand tu loues, t’as aucun contrôle sur les règles. LinkedIn booste aujourd’hui les newsletters, mais qu’en sera-t-il dans un an ?
Crestodina met en avant que publier sur LinkedIn prend peu de temps et coûte zéro dollar. Mais cette gratuité est une illusion : d’une part, le coût caché, c’est la dépendance. D’autre part, la monétisation reste limitée : LinkedIn ne donne par exemple pas accès aux métriques classiques pour les mails. C’est bien pour la notoriété, mais pas pour du business à court terme.
Quoi qu’il en soit, Crestodina illustre bien la transformation du contenu en ligne : non seulement les classico-classiques blogs ont perdu du terrain, mais les plateformes sociales concentrent toute l’attention et la rétention d’audience.
Comment s’échapper de cette prison dorée ?
14 millions de dollars pour un spot en noir et blanc qui retrace les grandes inventions humaines, avant de conclure sur un ChatGPT comme étape naturelle du progrès ; c’était ce que les amerloques ont pu se taper lors du SuperBowl.
En sous-texte : “l’IA, c’est le prolongement naturel du génie humain”. De la roue à l’électricité, de la conquête spatiale à… ChatGPT. Dit autrement, il s’agit de graver OpenAI dans l’inconscient collectif comme le catalyseur du prochain grand bond de l’humanité. Qu’est-ce que c’est subtil dites donc.
On barbote ici en pleine notion du progrès inévitable, où l’innovation ne se discute pas mais s’accepte. C’est ignorer comment “marchent” réellement les avancées technologiques, mais passons.
Suprême ironie : le spot a été conçu par des humains. J’imagine que le message derrière, c’est d’expliquer que l’IA ne remplace pas l’homme, elle l’amplifie. Lulz.
Bref, une vision que l’on pourrait qualifier d’optimiste mais qui écarte toutefois la vraie question : qui pilote cette amplification ? Et pourquoi ?
Une enquête récente, menée conjointement par Next et Libé, a révélé l'existence de plus de 1000 sites francophones qui diffusent des contenus générés par IA et qui se font passer pour des médias d'information légitimes.
Ces sites, créés pour des raisons lucratives (coucou les SEO), publient des articles en mode automatique et, bien évidemment, sans aucune valeur journalistique.
De vous à moi, cette situation n'est qu'une version 2.0 d'une vieille ritournelle : les MFA (Made for AdSense) nourris jadis au content spinning existent depuis des lustres dans le microcosme SEO - pensée à cet ancien collègue qui en avait monté un sur le cancer du colon.
La seule différence aujourd'hui, c'est que l'IA a amplifié x1000 le phénomène.
Les SEO ont toujours eu cette fâcheuse tendance à privilégier la quantité sur la qualité pour inonder le web de merdes insipides, et ce, effectivement, à des fins purement pécuniaires. Avec l'IA, ils ont simplement trouvé un nouveau jouet pour continuer de ramasser du cash.
Google va enfin se métamorphoser en vaste poubelle numérique où l'information utile est noyée dans un océan de contenus générés par des machines.
Celles et ceux qui tripatouillent au SEO dans leur boîte ont forcément connu cette question fatidique : "Combien de trafic SEO va générer cette stratégie ?".
Réponse classique : soit tu bricoles un tableur Excel incompréhensible, soit t’alignes des billets pour un outil SEO qui ne rentre pas dans ton budget annuel.
Quelle chance, voici un tool gratuit qui vous donne une estimation instantanée de votre trafic potentiel. C’est basé sur trois données simples : votre Domain Authority, vos mots-clés et votre rythme de publication.
Sur le papier, c’est plutôt intéressant ; ça donne une direction et ça permet d’éviter les promesses bidon du genre “Avec notre super stratégie, on va exploser notre trafic en trois mois”. Mais ne nous leurrons pas : il s’agit là d’une modélisation qui simplifie (trop ?) la réalité.
L'algo prend en compte des variables comme la difficulté des mots-clés et le temps moyen pour ranker, mais il oublie les fluctuations liées aux updates Google, Gemini, la qualité réelle du contenu, les SERP et leurs snippets, les pubs, les vidéos YouTube… Bref, c'est un outil intéressant pour poser un cadre, mais attention à garder un peu de recul.
C’est à tester ici :
🫠 Comment que vous avez trouvé cette édition ?
Vous pouvez m'aider à le savoir en likant l’édition (ou pas) ci-dessous, voire en laissant un commentaire salé comme la Mer Morte.
Si ça vous a botté, vous pouvez aider cette noble missive à se tailler une réputation par-delà les mers de Substack :
Je dis oui pour podcast. J'adore les histoires mystérieuses.
Pour la newsletter sur LinkedIn, c'est mort. Je vais me contenter d'y poster régulièrement et ce sera déjà pas mal. Je ne suis même pas sûre qu'on puisse accéder à (et exporter) sa liste d'abonnés là-bas, ce qui serait en soi un signal très négatif. Mais dans tous les cas, j'ai un principe dans la vie : ne jamais mettre tous mes œufs dans le même panier. Si j'ai créé ma newsletter, c'est pour tenter de m'éloigner de ce que nous imposent les réseaux et les plateformes sociales, donc ce n'est certainement pas pour rejoindre l'une des pires. Substack n'est pas parfaite, loin de là même si on en croit les derniers propos du fondateur, mais de la façon dont elle est faite, elle contribue à faire se connaître les gens et valorise les plus petits créateurs de contenu, tout en nous laissant une totale indépendance sur les données de nos abonnés, nos statistiques, etc.
Et je te rejoins pour ce que tu dis sur le SEO. Je crois qu'il n'y a pas pire tech boys que dans ce milieu. Je suis un ovni pour ces gens-là vu que j'essaye de faire du SEO « éthique ». Mais bon, quand tu vois que tout le secteur repose sur des têtes d'affiche qui exploitent les petits rédacteurs à base de 3 € les 100 mots (et je ne parle pas de ceux qui ont viré toutes leurs équipes dès qu'ils ont pu mettre la main sur l’API de ChatGPT). Une belle bande de branquignols qui passent leur journée à pratiquer l'auto-branlette.
J'ai beaucoup apprécié le début sur le récap de ce qu'il se passe aux USA. Pour le podcast, tu t'en sors comme un chef, mais je constate que pour ma part, je ne suis plus trop dans une phase podcast et préfère la lecture en ce moment.
Enfin, cette histoire de sites bullshit, franchement, c'est l'hôpital qui se fout de la charité, car, oui, les SEO ont pas mal pollué le Web, mais les grands médias sont très loin d'être en reste côté articles vides et non sourcés. On sait que ce sont des rédac' payés au lance-pierre qui brodent sur une brève AFP et on sait aussi que les articles (quand ce ne sont pas des reportages directement sur la TV) sponsorisés sont ultra-fréquents.
Là, tu sens surtout que les gros veulent récupérer toute la part du gâteau en mettant un peu de législatif dedans.